La honte d’un principal de collège ordinaire…

"J’occupe depuis cette rentrée la fonction de Principal d’un Collège dit "difficile", classé "Ambition Réussite". 82% des élèves sont issus de catégories socio-professionnelles très défavorisées. Un Collège ghetto, avec ses problèmes quotidiens, et les problèmes de violence dans le quartier. Je suis très fier d’avoir travaillé pendant plusieurs années à X…, et aujourd’hui à X…. Fier d’être fonctionnaire de la République, d’assumer cette mission de service public tant décriée.

Ce soir, ma fierté m’a abandonné. J’ai honte. J’ai surtout honte de devoir affronter le regard des professeurs, des surveillants, des partenaires extérieurs, des parents d’élèves et des élèves.

Vous vous souvenez tous de la promesse de notre président de la République pour ne pas laisser les "orphelins de 16 heures" à la rue ? Vous vous souvenez des annonces de M. Darcos, Ministre de l’Education nationale, à propos de la mise en place de l’accompagnement éducatif, ce dispositif devant accueillir tous les collègiens de 16 heures à 18 heures ?

La circulaire a paru au journal officiel le 13 juillet 2007. Je l’ai découverte en détails au moment même où je prenais mes fonctions fin août, comme tous mes autres collègues Principaux de Collèges en Education prioritaire (près de 1500 Collèges dans toute la France).

Je me suis mis en quatre pour mettre en place ce dispositif, car je suis un fonctionnaire responsable. J’ai mis mes opinions de citoyen dans ma poche, et j’ai tout fait pour que ce dispositif soit un succès. Je rappelle à tous que cet accompagnement éducatif devait concerner les élèves volontaires, encadrés par des enseignants volontaires. Sur 365 élèves, j’ai réussi à en convaincre 225 : 61,5 % de l’effectif total. La moyenne dans le Rhône tourne autour de 28 %.

Sur 47 enseignants, j’en ai convaincu 29. Je suis allé solliciter la MJC du quartier pour mettre en place un atelier de danse urbaine. J’ai sollicité le Centre social pour mettre conjointement en place l’aide aux devoirs, 3 fois par semaine. 100 % des élèves de 6ème étaient inscrits à cette dernière action. J’ai sollicité une compagnie artistique pour mettre en place un atelier d’écriture. Les professeurs ont ensuite proposé un atelier de sciences physiques, un club journal des collégiens, une activité escalade, trois groupes de soutien en mathématiques, deux groupes de soutien en français. J’étais en pourparlers avec un club d’échecs et un autre de rugby pour enrichir l’offre. Tout cela a bien sûr un coût. Vous vous en doutez.

L’Inspection académique et le Rectorat nous ont transmis courant octobre 2007 une enveloppe d’heures pour les professeurs et les intervenants extérieurs (pour ces derniers, ces heures devaient être transformées en vacations, payées 15 € de l’heure).

Je disposais de 1476 heures. C’est à partir de cette enveloppe que je n’avais pas demandé que j’ai construit mon offre. J’ai informé les parents d’élèves, et le 12 novembre, les actions se sont mises en place. L’aide aux devoirs avait commencé dès le 20 septembre. Les élèves étaient pour la plus part d’entre eux très heureux. Début décembre, j’ai mis en paiement auprès du Rectorat les heures effectuées en septembre, octobre et novembre : 398 heures.

Cet après-midi, mardi 29 janvier 2008, réunion officielle à l’Inspection académique. L’inspecteur d’Académie préside la réunion, flanqué de ses deux adjoints et de deux chefs de service. Configuration inhabituelle. Curiosité puis inquiétude.

L’Inspecteur d’Académie ne le dit pas explicitement, car nous sommes tous soumis au même devoir de réserve. "Le dispositif n’est pas supprimé, mais on a réduit la voilure". On a seulement supprimé les heures pour le faire fonctionner. Au lieu des 1476 heures, je n’en ai plus que 397 pour terminer l’année scolaire. Cela vient directement du Ministère. C’est identique dans toutes les Académies, l’Inspecteur d’Académie nous l’a confirmé, comme s’il voulait nous consoler. Tous mes collègues sont dans la même stupeur (40 Principaux de Collège abasourdis).

J’ai dépensé 1 heure de plus que ce à quoi j’ai droit. Et les heures effectuées en décembre et en janvier ne sont pour l’instant pas honorées (j’ai compté 221 heures pour ces 2 mois). Je n’en ai plus les moyens. C’est noble le bénévolat, mais, là, on atteint des limites… Concrètement, dès lundi prochain, 4 février 2008, toutes les actions décrites ci-dessus s’arrêteront, faute de moyens. Je ne vous fais pas de dessin.

Oui, j’ai honte ce soir. Honte pour les élèves. Honte pour les parents d’élèves. Honte pour les profs. Honte pour les partenaires exterieurs. Je ne sais toujours pas comment je vais leur annoncer la chose. Merci Mr le Président pour vos promesses péremptoires. Merci M. Darcos pour avoir démontré la crédibilité du système éducatif français.

Bonsoir les amis, vive la République."

6 commentaires

  • Je suis abasourdie! Cela me met spontanément en colère. De quoi dégouter toutes les bonnes volontés. Info que je fais circuler immédiatement même si je doute de son impact…

  • c’est allucinant! Comment se fait-il que personne n’en parle dans la presse? combien de manipulations de ce genre nous sont dissimulées?

    La voilà la méthode Sarkozy!!!

  • Je laisse le billet, cependant il est à prendre avec prudence. Voici un article de Luc Cedelle du Monde du 11 février 2008 qui remet les choses en place :

    « L’information est fausse, mais elle a du succès. Un courriel circule depuis le 29 janvier sur Internet en milieu enseignant : anonyme ou rendu anonyme, il exprime la rancoeur d’un principal de collège du Rhône classé "Ambition réussite" et auquel l’inspection d’académie aurait brutalement restreint les moyens alloués à "l’accompagnement éducatif" des collégiens de 16 à 18 heures. "Cela vient directement du ministère. C’est identique dans toutes les académies, l’inspecteur d’académie nous l’a confirmé, comme s’il voulait nous consoler", affirme le texte.

    Cet accompagnement éducatif, destiné selon l’expression consacrée aux "orphelins de 16 heures", est une priorité de Nicolas Sarkozy, reprise par le ministre de l’éducation, Xavier Darcos. Mis en place depuis la rentrée 2007, ce dispositif concerne les établissements de l’éducation prioritaire et doit être généralisé à tous les collèges à la rentrée 2008. Il est abondamment financé, par attribution d’heures supplémentaires, transformables en vacations pour rémunérer des intervenants extérieurs.

    Le courriel donne des précisions. Enumérant les activités mises en place dans le collège (aide aux devoirs, ateliers d’écriture ou de sciences physiques, club journal, escalade, groupes de soutien en mathématiques et en français…), il indique que cette offre était bâtie sur une "enveloppe" de 1 476 heures, dont 398 ont été utilisées en septembre, octobre et novembre. Or, l’inspecteur d’académie aurait annoncé le 29 janvier au chef d’établissement qu’il n’aurait plus que 397 heures pour terminer l’année scolaire, l’obligeant ainsi à renoncer à la plus grande partie de ces activités et le plaçant même dans l’impossibilité d’honorer certains paiements. D’où la "honte" éprouvée par le chef d’établissement vis-à-vis des élèves, professeurs, parents et partenaires extérieurs.

    CAFOUILLAGE LOCAL

    Renseignements pris, le courriel – au moins à l’origine – est authentique. Bien que "remanié" et "manipulé" par ceux qui l’ont diffusé, "il a bien été écrit par un collègue chef d’établissement, mais dans un contexte purement privé et il circule sans son accord", indique Isabelle Gouleret, secrétaire académique du SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale). Elle précise que le chef d’établissement a pu apporter à ce sujet la preuve de sa bonne foi. Sur le fond, le malentendu s’explique par des tensions liées à des "ajustements" du dispositif mais, précise-t-elle, "tout est rentré dans l’ordre depuis".

    Interrogé, le cabinet du ministère de l’éducation, Xavier Darcos, attribue l’incident à un cafouillage local, l’inspecteur d’académie ayant omis de "faire le point avec son recteur sur les enveloppes budgétaires" disponibles. Selon le ministère, le recteur, alerté par les réactions, a adressé le 1er février une note aux chefs d’établissement concernés "pour leur confirmer que le dispositif était intégralement financé". Et il en va toujours de même au niveau national : "Nous avons distribué pour la période de janvier à juin 2008 pour les 1 119 collèges éducation prioritaire 650 000 heures supplémentaires, c’est plus que suffisant !"

    En attendant, le courriel du chef d’établissement mécontent continue de circuler, dans sa version remaniée. Il contribue à nourrir le mécontentement des enseignants au moment où certains établissements sont touchés par des restrictions, réelles celles-ci, de leur dotation horaire globale (DHG), conséquence des 11 200 postes supprimés à la prochaine rentrée. Outre qu’il s’agit de l’année scolaire en cours pour ce qui concerne l’accompagnement éducatif et de l’année prochaine pour la DHG, les deux "enveloppes" budgétaires sont totalement indépendantes l’une de l’autre. »