Le fichage des « honnêtes gens » adopté par l’Assemblée Nationale

Le 1er février 2012, l’Assemblée Nationale a adopté un texte qui prévoit notamment l’instauration d’un « fichier des honnêtes gens », c’est à dire un seul et même fichier centralisant les données biométriques des individus : malgré la sensibilité du sujet, le texte est passé sans faire de vagues dans un hémicycle presque vide… Il s’agit, soit disant, de lutter contre l’usurpation d’identité.

A la base, une nouvelle carte d’identité nationale biométrique va être créée, comportant 2 puces électroniques : l’une pour les données biométriques « classiques » (nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance, adresse, couleur des yeux, empreintes digitales et photographies ; l’autre ne sera pas obligatoire mais optionnelle, pour la signature électronique permettant au citoyen-internaute de s’identifier sur des sites commerciaux ou administratifs. Toutes ces données centralisées dans un fichier rejoindront la base des titres électroniques sécurisés (Tes), alors que jusqu’à maintenant la version papier de ces informations était archivée dans chaque préfecture. Puisque chaque personne qui fera une demande de carte d’identité biométrique sera recensée dans ce fichier national, il devrait compter « à terme 45 millions d’entrées, soit le plus grand fichier de France ! », comme le calculait le député PS de Paris, Serge Blisko.

Tout ça pour l’usurpation d’identité alors que le nombre de faux documents d’identité oscille entre 6.000 et 10.000 par an selon le dernier rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) ??? Même si le texte prévoit, en plus de l’usurpation d’identité, une quinzaine d’autres infractions comme le faux et l’usage de faux, l’atteinte aux services de renseignements, la mention d’une fausse adresse ou encore aux fraudes dans les transports en commun, ce fichier semble disproportionné : la France sera ainsi, avec l’Espagne, l’un des rares pays à centraliser sur un seul et même fichier les données biométriques des individus Et même s’il est prévu que le fichier soit mis à disposition des policiers que dans trois cas (vérifications lors de la délivrance ou du renouvellement d’une carte d’identité, identification de victimes d’accidents ou de catastrophes naturelles, et certains cas de fraudes à l’identité), on a du mal à croire que les policiers ne seront pas tentés d’aller y jeter un oeil, dans d’autres circonstances…

En outre,  loi peut être modifiée à l’avenir pour élargir les conditions d’utilisation du fichier. En plus, n’importe qui peut faire une demande de carte d’identité biométrique sous le nom d’une autre personne, si cette dernière n’est pas encore « fichée » dans le « fichier des gens honnêtes ».

Serge Blisko a  rappelé à Claude Guéant, notre Ministre de l’Intérieur, un sombre précédent : « Monsieur le ministre, j’ai le regret de rappeler que la France n’a créé qu’une seule fois un fichier général de la population, c’était en 1940. Il fut d’ailleurs détruit à la Libération ». Comme le clame la sénatrice PS Virginie Klès, cette loi porte atteinte aux libertés individuelles : « Il faut que les citoyens se réveillent. Il y a une espèce d’omerta on n’en parle pas. Je suppose qu’il y a des intérêts financiers importants (NDLR : Gixel, le lobby des industriels de l’électronique). Mais les libertés individuelles doivent aller au delà des intérêts financiers ».

A suivre : la proposition de loi adoptée par les députés le 1er février 2012, sera rediscutée, en 5ème lecture, au Sénat – qui la refusera – puis à l’Assemblée, qui l’adoptera, définitivement, en l’état…